Le Papé

Tiré de l’oeuvre de cette délicieuse, Yolande VERCASSON.

I

Il se tenait assis tout au bout de la table

Et nous impatientait souvent par sa lenteur.

On le voyait si vieux, si courbé, pitoyable,

Que l’amour peu à peu cédait à la rancœur.

Je le suivais partout ! C’était là, dans ma tête !

Il me suivait des yeux lorsque je travaillais,

Proposait de m’aider, maladroit, l’air tout bête !

Il gênait nos projets, notre vie, le Papé !

Au bout de quelque temps, prétextant les vacances,

Je le menais plus haut, au flanc du Lubéron

« Tu seras bien là-bas. Tu verras la Durance

Du haut de la terrasse de la grande maison.

Ces maisons-là, Papé, sont faites pour les vieux.

Regarde comme ils semblent bien, ils ont l’air très heureux !

« Comme tu veux, petite, si c’est pour ton bien-être.

Monte de temps en temps, le dimanche peut-être ? »

Je l’ai laissé tout seul, vivement, pas très fière.

L’air était encore chaud, pourtant je frissonnais,

Et le chant des oiseaux voletant sur le lierre,

Me disait doucement : « Qu’as-tu fait du Papé ? »

Les jours se succédaient, je cherchais la quiétude

Le travail me prenait, j’essayais d’oublier,

De noyer mes regrets au fil des habitudes,

Les souvenirs d’antan rappelaient le Papé.

Même dans le mistral qui rasait la garrigue

Pour venir s’écraser au butoir de la digue

J’entendais cette voix qui ne cessait jamais

De dire à mon oreille : « qu’as-tu fait du Papé ? »

Chaque brin de lavande, de thym, de romarin,

Me reprochait sans fin l’absence de l’aïeul.

Le murmure des sources dans le petit matin

Chantait sur mon cœur lourd des cantiques de deuil.

Le remord, lentement, s’installait dans ma vie.

Je revenais m’asseoir ou il s’était assis.

Sur le banc de vieux bois, près du puits, sous le chêne,

Et je laissais errer mes pensées sur la plaine.

II (suite)

Alors, je l’ai revu, avant, lorsqu’il marchait

Jusqu’au seuil de l’école, pour venir me chercher.

Je sautais dans ses bras, je l’embrassais, tout doux,

Et nichait tendrement ma tête sur son cou.

Il me portait un peu, puis, ma main dans sa main,

Il ajustait son pas pour bien suivre le mien.

Il m’expliquait les bois, les cabris, les moutons,

Les abeilles dorées et les beaux papillons.

Il cueillait aux buissons des réserves de mûres

Et m’offrait les plus grosses comme un présent de choix.

Il riait bruyamment en voyant ma figure

Barbouillée des reliefs de ce festin de roi.

Le soir, près de mon lit, il venait me bercer

De chansons provençales, d’histoires de bergers.

Je m’endormais heureuse de sa chaude présence,

Pleine de rêverie, d’amour, de confiance.

Au long des souvenirs, mon cœur plein de pitié

A trouvé le repos. J’ai repris le sentier.

Pour revenir tout droit à la grande maison.

Retrouver le Papé, lui demander pardon.

J’ai pris tout simplement sa main, sans rien lui dire.

Une larme brillait au milieu du sourire.

Et c’est moi, cette fois, tout au long du chemin

Qui ajustait mon pas, pour bien suivre le sien.

Un Papé c’est précieux, c’est tant de souvenirs !

Si vous en avez un, jusqu’au bout de vos jours,

Gardez-le près de vous. Quand il devra mourir,

Vous fermerez ses yeux dans un geste d’amour.

Aujourd’hui, par hasard, si le chant des cigales

Me pose la question tant de fois redoutée.

Je peux le cœur tranquille, en digne Provençale

Répondre fièrement : « il est là le Papé ».

 

Yolande VERCASSON

AMOUREUSE DE LA PROVENCE

 

Yolande VERCASSON

Au départ, elle a écrit pour s’apaiser.  C’était une nécessité.

Aujourd’hui, elle exprime aussi bien le malaise de la société que les beautés de la Provence qu’elle aime tant.

Je vous laisse apprécier « Le Papé », témoignage douloureux sur le sort des anciens aujourd’hui.

Un axe de réflexion majeur pour les infirmiers, les médecins, les assistantes sociales, les dirigeants de maison de retraite, les centres de gérontologie

Mais un axe de réflexion surtout pour les enfants d’aujourd’hui trop souvent entrainés ou perdus dans un monde de profitabilité et d’égoïsme.

Le webmaster Guy WINGERTSMANN

 

Date de dernière mise à jour : 07/09/2023

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