17 - Le 94°R.I DANS LA GUERRE - 1914-1918

 

1918 - II - LE SANTERRE - II

Le 30 mars, l'offensive allemande a provoqué le recul des Anglais sur la ligne générale Arras-Albert- Moreuil-Montdidier. Un nouvel effort qui s'est produit entre le 4 et le 8 avril a été enrayé; mais Hindenburg semble ne pas se lasser. Il faut à tout prix barrer la route d'Amiens. La 42ème Division va relever sa voisine de Lorraine, la Division marocaine, qui vient de subir de furieux assauts.

- Le 2 mai, le 94ème  est embarqué en autos et emmené à Bacoue1. Le 4, il est à Sains -en-Amiénois, à la disposition de la I ère Armée (Général Debeney) et du 31ème  Corps (Général TOULORGE)

La relève, commencée le 5, est terminée le 6. Le Régiment est en ligne sur cet immense plateau argileux qui s'étend entre VilIers-Bretonneux et Domart-sur-Ia-Luce,  tenant une partie du fameux bois de Hangard  (Le Général  FAYOLLE  avait  dit : « C'est la meilleure de mes Divisions, la 42ème , qui sera la gardienne d'Amiens ») Quelques trous individuels, de rares éléments de tranchée ébauchée jalonnent les lignes de défense, où de nombreux cadavres témoignent de l'ardeur de la lutte des jours précédents. Dans la boue, sous les obus, en dépit des gaz, chacun se met au travail. Dès le premier soir, la 1 re et la 7 e compagnies font chacune un prisonnier, qui annoncent une attaque pour le lendemain. « Au travail, et qu'ils y viennent »

- Le 7, à 23 h. 30, la première ligne demande le barrage d'artillerie, qui commence instantanément avec une violence extraordinaire. L'attaque est avortée, et chacun se remet au travail.

- Jusqu'au 27 mai, l'activité d'artillerie reste à peu près constante et diverses tentatives sont toutes repoussées; mais les lignes successives de "tranchées avec défenses accessoires et abris profonds sont organisés comme par enchantement: travaux de géants, exécutés inlassablement, soit en ligne, soit en soutien à Boves, Cottenchy,  Fouencamps.

Du bois de Hangard, le Régiment passe successivement à la naissance du ravin de Domart, puis à la tête de pont de la Luce.

- Le 27 mai, l'effort ennemi se porte en direction de Paris.

Tandis que les autres Divisions du 32ème  Corps sont engagées sur la Marne, la 42

Eme reste gardienne d'Amiens, désormais inaccessible.

- Le 6 juin, la densité d'occupation du secteur est fortement diminuée: on échelonne la défense en profondeur, tout en renforçant l'organisation. Pendant ce temps, l'ennemi a gagné Château-Thierry.

Chaque jour il déverse sur Paris des tonnes d'explosif, prétendant annoncer au monde la « victoire allemande ». Mais la France reste ferme et maintient entière sa confiance dans ses soldats et leurs chefs.

Le Général FOCH, Généralissime des Armées alliées, attend patiemment, comme à la Marne, une faute de l'ennemi.

Il faut préparer la reprise du mouvement en avant et, pour cela, être renseigné sur la situation de l'adversaire. Le 29 juin, le 94ème  exécute un coup de main. A 0 h. 10, sous le commandement volontaire du Capitaine FORTIS, un peloton de la 1re  compagnie, sans préparation préalable, couvert seulement par un barrage roulant,  fait une incursion dans les lignes allemandes devant le bois Dodu, maîtrise rapidement cinq Allemands qui essayaient de se défendre à coups de grenades et les ramène dans nos lignes trente minutes après.

- Le 21 juillet, à 23 h. 45, un nouveau coup de main, exécuté dans la même zone par le Sous-Lieutenant GANGNERON, officier d'élite, et 37 hommes, permet de ramener, malgré un violent tir de barrage ennemi, trois nouveaux prisonniers.

Le 23 juillet, une reconnaissance est effectuée par le Sous-Lieutenant ROUAUD, de la 2ème  compagnie, au cours de laquelle le Sergent Clément est grièvement blessé en se jetant hardiment à l'attaque d'une fraction ennemie qu'il voulait surprendre. .

- Le 2 août, le Régiment est en réserve.

- Le 5, le Capitaine GARÊNE, du 332ème , prend le commande ment du 1er  Bataillon, en remplacement du Commandant POULAIN, passé à l'Armée américaine. Dans la nuit du 6 au 7 août, le Régiment se porte en position d'attente. Nuit de relève unique dans les annales de cette guerre: alors que depuis un certain temps on avait l'impression d'une stabilisation complète, d'une tranquillité parfaite chez l'adversaire, chacun croit rêver de voir, par cette nuit noire, sous la pluie orageuse, un triple convoi sur la route: fantassins, camions, caissons, se hâtant silencieusement chacun vers son poste.

Dans la journée du 7, pas un mouvement ne décèle la présence de nos forces: résultat merveilleux d'une discipline basée sur la confiance.

- Le 8, août, à 1 h. 30, les Bataillons ont pris leur place de départ, tandis qu'à l'arrière les tanks s'approchent. En première ligne, le 2ème  Bataillon, (Commandant Mesny) et le 3ème  (Commandant de DUFOURQ), en liaison à droite avec le 8ème B. C. P. à  gauche avec la Division canadienne. Le 1er Bataillon (Commandant GARENE) est en soutien.

La nuit est d'un calme impressionnant: pas un coup de canon, ni ami, ni ennemi. A 4 h. 20, une immense lueur s'élève derrière nous, suivie d'un fracas assourdissant : l'artillerie de toute l'Armée ouvre le feu à la même seconde, c'est le signal de départ.

Tout le Régiment se précipite en avant, suivant au plus près le barrage roulant. La nuit est noire et la fumée des éclatements l'épaissit encore. Tous les gradés dirigent la marche, la boussole à la main. Un arrêt est marqué de 4 h. 40 à 5 h. 20, pour permettre à l'artillerie d'exécuter quelques destructions importantes. A 5 h. 20, le Régiment reprend sa progression. A droite, le 3ème  Bataillon capture une cinquantaine de prisonniers et dix mitrailleuses dans le bois Longuet. En débouchant devant la lisière Nord-Est du bois de Moreuil, la 9ème  compagnie est arrêtée par de violents feux de mitrailleuses. Le 8ème Bataillon de Chasseurs est arrêté aussi. Les 10ème  et 11ème  compagnies exécutent le débordement de cette résistance et la marche en avant reprend.

La 9ème  compagnie, à laquelle le Lieutenant LAFROGNE communique sa vigueur et son entrain, pousse sur le bois de Moreuil, où elle capture une trentaine d’Allemands et une dizaine de mitrailleuses, grâce tout particulièrement au dévouement des soldats SOLIVEAU et THOMAS, qui se portent a l'assaut d'une mitrailleuse en action, servie par un officier commandant deux pièces de 77 dont les servants avaient été mis en fuite, tuent cet officier à bout portant et permettent ainsi à notre première vague de poursuivre la marche en avant. La 10ème  compagnie (Lieutenant CHERTIER) s'empare d'une batterie de quatre pièces de 77, avec son personnel, et d'un canon de 150. La 11ème   compagnie (Capitaine LAVIGNON) capture à son tour 50 prisonniers et 10 mitrailleuses, ainsi qu'une nouvelle batterie de 77, près de la corne du bois de Moreuil. Le Sergent LEUYER (1), de cette compagnie, réduit, un îlot de résistance qui offrait sous bois une résistance acharnée, et se jette personnellement sur une mitrailleuse dont il met les servants hors de combat. (1 Déjà décoré de la Médaille Militaire, le Sergent LEUYER est fait Chevalier de la Légion d'Honneur.)

Le Lieutenant FERANT, de la C. M. 3, contribue largement à l'avance magnifique de son Bataillon, par l'appui habile et constant qu'il donne aux compagnies. A gauche, peu après le départ, la progression du 2ème  Bataillon est gênée par la résistance de fractions qui défendent le bois Dodu et le bois d'Hollan. Ces résistances sont réduites par la 5ème  compagnie (Capitaine ECOMTE), appuyée par un tank canadien. Un nombre important de prisonniers et de mitrailleuses est capturé. Le premier objectif, route Demuin-Moreuil, est atteint à 6 h. 40. Un arrêt de soixante-trois minutes est marqué sous la protection d'un barrage fixe, arrêt pendant lequel on vérifie le bon ordre et les liaisons. A 7 h. 43, la marche reprend en direction de Villers-aux-Erables.

Par suite d'un retard de la Division canadienne, un trou se produit entre le 2ème et le 3ème  Bataillon: la 2ème  compagnie (Capitaine LACAMPAGNE) le bouche.

En dépit d'un léger ralentissement, la progression continue et des centaines de prisonniers sont encore faits.

Vers 10 heures, le 2ème  Bataillon, qui doit déborder par le Nord le village de Villers-aux-Erables, est arrêté par des feux violents de mitrailleuses. Le 3 e Bataillon se heurte, lui aussi, à une vive résistance. D'un côté comme de l'autre, tous les efforts sont faits pour vaincre cette résistance. Le Capitaine LAVIGNON, secondé par l'Adjudant BASSARD, réussit une manoeuvre hardie de débordement, parvient à se jeter avec sa compagnie dans Villers-aux-Erables, enlève d'assaut le château, capturant des mitrailleuses et plus de 200 prisonniers.

Le parc résiste encore. La 3ème  compagnie, sous les ordres du Sous -Lieutenant THOVERON, est envoyée en renfort au 2ème  Bataillon. Le Sous-Lieutenant THOVERON, rencontre au passage une section de mortiers Stokes que commande le brave Adjudant COMTESSE, la porte en avant et la fait intervenir, puis se précipite à la tête de sa compagnie et capture les trois dernières mitrailleuses en action, tandis que la 7ème compagnie s'empare d'une batterie de 210 qui tirait encore. A midi, l'objectif final du Régiment est atteint.

Mais chacun a le sentiment de la situation et de l'importance des minutes. Le Lieutenant-Colonel DETRIE demande un effort supplémentaire, que les Bataillons ont entrepris antérieurement à la réception de l'ordre et de leur propre initiative. Le Capitaine GARENE prend la tête de la compagnie THOVERON,. Accompagné du Capitaine Adjudant-major Remy, avec la liaison du 1 er Bataillon et quatre sections de mitrailleuses, il bondit dans les vergers de Mézières, pousse à travers le village, le fait nettoyer et s'établit finalement, à 13 heures, à 300 mètres à l'Est du village, où il rétablit les liaisons. Au cours du nettoyage du village, il a été capturé plus de 100 prisonniers, un poste de secours où a été délivré un officier aviateur français blessé, et quatre pièces de 150.

Au cours de cette journée, le Régiment a réalisé une progression de huit kilomètres, dépassant de plus de deux kilomètres son objectif final et a capturé 1.400 prisonniers, dont 40 officiers, plus de 100 mitrailleuses, des minenwerfer non dénombrés, 32 canons, dont 12 de gros calibre.

A 14 heures, le 332ème dépasse le Régiment et enlève Fresnoy-en-Chaussée. Il est à son tour dépassé par la 153ème Division. Le Régiment couche sur les positions qu'il a conquises, y reste la journée du 9, disponible.

Le Colonel reçoit du Général DEVILLE le message suivant: « Bravo pour le 94ème.  Magnifique journée ! Votre Général de Division est fier de vous. Dites à vos officiers et à vos soldats tout mon admiration et ma reconnaissance. »

- Le 10 août, le Régiment passe en réserve d'Armée à Mézières même.

- Le 11 août le Général DEVILLE passe en revue la 42ème  Division, sur le terrain conquis le 8 par le 94ème , au Nord de Villers-aux-Erables, où une grande partie du matériel capturé a été rassemblé. Il prononce une allocution où il exalte le rôle glorieux de la 42ème  Division, qui a permis 1e développement de la grande bataille en cours. Le 13 août, le Régiment se rend par voie de terre à Mailly-Renneval, où il bivouaque.

Les ordres généraux de félicitations arrivent, dont des extraits montreront à tous la glorieuse action accomplie:

Ordre du Général DEBENEY, Commandant la Ire Armée

« La 42ème  Division vient d'ouvrir magnifiquement les portes à la victoire. La III ème Armée va attaquer à son tour. Si la bataille prend à cette heure une ampleur imprévue, on le doit la percée rapide de la 42ème  Division. »

Ordre du Général TOULORGE, Commandant le 31ème Corps

« La 42ème Division, en deux jours de durs combats, a rompu le front ennemi et pénétré à plus de 10 kilomètres dans les lignes adverses. Fier d'avoir eu sous ses ordres d'aussi belles troupes, le Général commandant le 31ème  Corps salue leurs Drapeaux »

Lettres du Général LIPSETT, Commandant la 3e Division Canadienne et du Général BRUTINEL, du Corps Canadien.

« Les troupes de la 3ème Division canadienne ne tarissent pas d'éloges sur l'élan et la bravoure don tvos troupes ont fait preuve. Elles sont fières d'avoir été au combat avec elles.

C'est pour mes hommes et pour moi un bien grand privilège que d'avoir pu apporter notre concours à vos superbes Régiments. Mes hommes sont émerveilles de l'admirable souplesse de la méthode d'attaque et de la valeur individuelle de vos fantassins. »

Ordre du Général DEVILLE, Commandant la Division

« La 42ème Division peut être fière, à juste titre, de ce beau succès. Son plus beau titre de gloire est d'avoir conservé pendant les dix mois consacrés aux travaux acharnés des secteurs défensifs l'esprit agressif et l'admirable mordant qui lui ont permis d'ébranler jusque dans leur fondement les positions de l'adversaire »

Ordre du Lieutenant-Colonel DÉTRIE, Commandant le Régiment: « On les a eu ! Et comment !

L'ennemi enfoncé au point décisif et d'un seul élan sur sept kilomètres de profondeur. Plus de 40 officiers et 1.400 hommes prisonniers ; 34 canons, dont beaucoup de lourds; plus de 100 mitrailleuses, une quantité de minenwerfer, un matériel considérable capturé: tel est le bilan du 94ème dans cette incomparable journée du 8 août 1918.  Jamais, à la manœuvre, vous n’avez été plus beaux que dans cette attaque qui restera légendaire.

A vous, mes enfants depuis deux ans, des enfants qui m'inspirent une affection sans borne et une fierté toujours croissante, je crie de tout mon coeur: bravo et merci »

 - Le 16 août, le Régiment se rend par voie de terre dans la région de Froissy, d'où il est enlevé le 17 en camions pour aller cantonner à Villers-Vermont, Saint-Samson-sur-Thérain et Canny-sur-Thérain.

Le 20 août, le Général DEBENEYenvoie l'ordre du jour suivant:

« SOLDATS DE LA  I ère  ARMÉE

La bataille est gagnée. A côté de nos Alliés britanniques, vous avez rompu le front ennemi et dégagé Amiens; vous avez encerclé et pris Montdidier, enlevé de haute lutte les positions fortifiées qui couvrent Roye et libéré, sur une profondeur de 25 kilomètres, la terre sacrée de la chère France.  Seize Divisions allemandes, battues, ont laissé entre nos mains plus de dix mille prisonniers, deux cent vingt canons et un matériel énorme. En quittant les rives de l'Avre pour marcher en avant, saluons avec une pieuse émotion nos braves camarades tombés depuis cinq mois sur la ligne Hangard-Grivesnes. Là, ils ont brisé l'invasion; là, ils ont préparé l'offensive vengeresse; là ils ont, de leur sang, inscrit le mot d'ordre auquel vous vous êtes montrés fidèles et qui restera le nôtre: Nous voulons vaincre! » Général DEBENEY.

Depuis l'armistice, diverses publications nous permettent de juger cette glorieuse action à sa juste valeur. Un seul extrait des jugements du Général Buat sur Ludendorff, d'après les propres mémoires de ce dernier, fera ressortir ces événements du « Santerre », où le 94ème  eût la plus belle part, comme ils le méritent:

« Chose étrange! Lorsque, le 16 juillet, Ludendorff donne l'ordre de suspendre les opérations sur la Marne, il croit encore que l'ennemi ne réagira pas. Le 18, il est brusquement rappelé à son Quartier général. Les Français ont attaqué entre la Marne et Soissons. Ludendorff sent l'inquiétude lui mordre l'âme. Cependant il a encore un espoir, le dernier: sans  doute le nouveau front va se stabiliser.

Ludendorff en est là de ses réflexions quand se lève, selon sa propre expression, le jour sombre de l'Armée allemande, le plus sombre jour de toute la guerre. Ce jour sombre arrivera le 8 août 1918. Le front Albert-Amiens-Montdidier, Ludendorff le croit très fort, l'ayant fait inspecter par un Général en qui il a toute confiance ! Cependant, le 8 août, par un matin brumeux, tout cela est balayé!... »

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Date de dernière mise à jour : 21/10/2022

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