1 - DINAN, l'explication...

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DINAN  (Côtes-d’Armor)  Eglise Saint-Malo

Au lendemain de la guerre chaque paroisse d’une même ville eut à cœur d’honorer le souvenir des siens morts lors du conflit. Le plus souvent il s’agit d’une modeste plaque commémorative dressant en lettres d’or ou en lettres de sang des listes interminables d’hommes qui ne sont jamais revenus. Parfois ces plaques sont enchâssées dans tout un décorum (autel, statuaire, tableau peint, symboles allégoriques,…) semblant signifier que la dette des vivants n’arrivera jamais à compenser le sacrifice de ceux qui sont morts à la guerre.

A Dinan, dans la paroisse Saint-Malo, le chanoine Pavy avait, dès la fin de la guerre, formé le projet d’ériger dans son église un monument commémoratif à la mémoire de ses paroissiens « glorieusement tombés au champ d’honneur pour la France ». Le conseil paroissial consulté et l’accord du service des Beaux-Arts obtenu, il fut décidé, qu’outre une plaque où serait gravé le nom des morts de la guerre, serait mis au-dessus d’elle un vitrail commémoratif destiné à expliquer, par l’image, la signification de toutes ces morts.

Contact est alors pris avec un peintre cartonnier parisien de grande réputation : Henri-Marcel Magne[1]. Sur quelques suggestions données par les responsables de la paroisse (rappeler dans une même baie les souffrances de la vie terrestre et l’espérance de la vie céleste), l’artiste propose une iconographie et un dessin répondant aux attentes formulées. La première esquisse est immédiatement adoptée. Le parti final étant retenu, Magne, sans attendre, élabore le carton à échelle d’exécution et demande à un atelier de vitraux, également parisien, avec qui il à l’habitude de travailler[2], l’atelier Champigneulle[3], de réaliser le dit vitrail[4]. Rapidement menée et exécutée, l’œuvre finale et l’ensemble est béni par Mgr Morelle, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, le jour de la fête patronale, le 20 novembre, en présence d’« une foule considérable et recueillie » rapporte L’Ouest-Eclair du lendemain[5].

[1] Artiste décorateur, architecte de formation (Paris 1877-Paris 1944)

[2] Deux autres édifices religieux en Bretagne ont bénéficié de cette même collaboration artistique pour leurs vitraux commémoratifs de la grande guerre : la cathédrale de Tréguier dans les Côtes-d’Armor (1931) et la chapelle Ty Mamm Doué de Kerfeunteun en Quimper dans le Finistère (1921)

[3] Atelier situé 96, rue Notre-Dame-des-Champs (Paris 6e )

[4] Voir date et signatures au bas du vitrail : DELt après H.M. Magne signifiant delineavit (le dessinateur) et Pint après Ch. Champigneulle signifiant pinxit (le peintre)

[5] Après la bénédiction, à la sortie de l’église, l’évêque trouve sur le parvis un jeune homme sur un cheval déguisé en page entouré d’autres pages portant bannières et gonfalons qui lui déclame le discours suivant :

« Monseigneur

« Les imagiers et maîtres ès arts de Paris la Grand’Ville ayant enluminé de doctes enluminures un vitrail majeur de l’église de Monseigneur Saint Malo qui s’érige en la cité de Dinan, à icelle fin de tenir à perpétuelle  souvenance les hommes d’armes qui, par tant grandes vaillantises bataillèrent et férirent et d’estoc et de taille à déconfire, occire ou bouter hors de « France la douce » les lansquenets ribards et félons de Germanie, Votre Seigneurie a daigné se départir de ses logis et demeurances, sis en la cité briochine, et venir céans chanter los de ces preux...»

La position du vitrail   La position du vitrail  Le vitrail en entierLe vitrail en entier     Le detail du vitrail    Le détail qui pose question

L’analyse iconologique de ce vitrail fait clairement apparaître, à part égale, les deux registres souhaités par le curé et le conseil paroissial d’alors, chacun de ces registres étant lui-même décomposable en deux parties traduisant la relation cause/conséquence parfaitement compréhensible par n’importe quelle personne de l’époque.

Le premier registre, dans la partie inférieure du vitrail, rend compte de ce que fut la vie terrestre en ce temps de guerre. Il met en parallèle un épisode de combat, là-bas sur le front, et l’une des conséquences malheureuses de cette guerre, ici à Dinan : 

- Sur un champ de bataille, six soldats de différents régiment d’infanteries[1], 47e (basé à Saint-Malo), 48e (basé à Guingamp), 94e (basé à Bars-le Duc, mais replié à Coëtquidan) implorent le ciel de les préserver de la mort alors que deux d’entre eux sont étendus au pied d’un canon de 75 (ou d’un 77) entouré de flammes (l’un, du 94e, blessé drapeau du régiment à la main, l’autre, du 48e, mort).

- Les conséquences locales de cette guerre : la douleur d’une famille éprouvée. Une veuve éplorée (la principale donatrice) et ses deux petites filles réconfortées par un prêtre (le chanoine Le Corec, doyen de la paroisse pendant la guerre), sont agenouillés pour se souvenir et prier devant une tombe surmontée d’une croix de bois sur laquelle on a déposé le casque du défunt et une branche de palme piquetée de fleurs blanches.

Le second registre, dans la partie supérieure du vitrail, rappelle la souffrance du Christ mise en parallèle avec la félicité éternelle qui est réservée aux sauveurs de la fille aînée de l’Eglise : la France

- Au sommet du vitrail, tout en haut de la baie, dans les soufflets et les mouchettes : les instruments de la Passion (la couronne d’épine, la colonne, la lance, l’éponge au bout d’une branche, les clous,...).

- En-dessous, sur un même plan, quatre personnages en pieds : dans un nimbe de gloire, le Christ, entouré (pour reprendre le titre d’un ouvrage à grand succès de l’époque) de Nos alliés du ciel[2], c'est-à-dire Jeanne d’Arc en tenue guerrière avec son étendard, saint Michel, oriflamme à la main frappé du traditionnel Qui ut Deus[3],  foulant le dragon et saint Malo (avec les traits de Mgr Morelle), patron de la paroisse, surmonté des attributs épiscopaux de l’évêque du diocèse, l’ensemble des ces saints personnages se tenant prêts à accueillir l’âme des glorieux défunts sanctifiés à jamais d’avoir donné leur vie pour la France, pour leur patrie et pour leur paroisse.

[1] Voir cols de capotes

[2] Chanoine S. Coubé, Nos alliés du ciel, Paris, Lethielleux, 1915

[3] Littéralement « Michel » en hébreu repris ici en latin pouvant être traduit « Qui est comme Dieu »

Enfin, en bas du vitrail, l’épitaphe commémorative gravée dans le verre assure l’indispensable  liaison entre la liste nécrologique des 128 paroissiens morts lors de cette guerre et l’explication imagée du message chrétien de la mort. 

Rennes le 2 mars 2006

Jean-Yves COULON,

 

Date de dernière mise à jour : 28/12/2021

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