TEMOIGNAGE de Roger LARTILLOT

 

SOUVENIR DU 10 JUIN 1956 – L’Embuscade d’AÏN GUIGUEL

(De Roger LARTILLOT) – 94° Régiment d’Infanterie 1er Bataillon

Quatre sections de combat plus la section de commandement, sous la responsabilité du lieutenant, soit 90 hommes, arrivent le vendredi 8 juin 1956 au poste d’Aïn Guiguel  pour remplacer les parachutistes du 1er RCP (Régiment de Chasseurs Parachutistes) qui tenaient le poste et qui  devaient rejoindre leur base, BOU HAMAMA, vaste cuvette entourée de hautes montagnes en plein milieu des AURES, au pied du massif CHELIA, qui culmine à 2013 m, tandis qu’Aïn Guiguel  se trouve sur le flanc Ouest du Djebel  Bézère/Becker à environ 1300 m d’altitude.

Pour effectuer cette relève, une partie de leur groupe redescend vers Bou – Hamama avec les GMC qui nous ont amenés tandis qu’une section commandée par un aspirant doit rester avec nous jusqu’au 11 juin.

Nous nous installons au mieux au cours du samedi 9 dans les mechtas du poste et les 30 à 40 paras (je ne sais pas trop leur nombre) crèchent sous les marabouts.

Une décision est prise : faire une reconnaissance de terrain avant leur départ.

Le 10 juin, nous devons crapahuter ensemble :  c’est dimanche, il fait beau. La section du 1er RCP quitte le poste de bon matin pour arpenter les crêtes du djebel BEZZE BECKER ; et la 1ère section du 94° (dont je fais partie) renforcée d’une partie de la section de commandement, part sous le commandement du lieutenant, guidée par un Para, doit les rejoindre vers Tamza Nord en passant sur le flanc du djebel à environ 1500/1600 m d’altitude. Nous partons vers 8 h. Le lieutenant nous dit : « vous pouvez emporter à boire mais nous reviendrons de bonne heure, vers midi » Et nous voilà partis à leur rencontre.

Arrivés sur un méplat, après un crapahut d’environ 1 heure, le lieutenant nous rejoint et m’indique du doigt le col où nous avons rendez-vous, donc il faut marcher dans cette direction. Nous continuons notre progression et, arrivés à environ 800 m du col nous entendons des échanges de coups de feu dans le col et nous apercevons des fumées. La radio du P 300 annonce : « nous sommes accrochés ! » Puis plus rien…. Notre guide para, ancien d’indo, hurle aussitôt : « faites tirer tout le feu dans la direction pour les faire décrocher ! »

Si tôt dit, si tôt fait : FM, fusils, PM, tout notre groupe tire ; par contre les fells nous envoient des pruneaux et on entend le you you  de leurs balles. Après une brève concertation, nous nous faufilons en avant, à cinq, sur les lieux de l’accrochage : notre guide para, dont je n’ai jamais su le nom, le caporal Jacky MOUSSET, les 2èmes classes BURG et BAUE et moi-même. En traversant un sous- bois, nous nous heurtons à un para qui nous dit : « ah les gars, vous êtes là ! Moi, c’est une envie pressante qui m’a sauvé ! » Puis nous continuons en courant, arrivés dans le col où plusieurs soldats sont étendus, nous trouvons au pied d’un rocher, un arabe qui s’apprêtait à dégoupiller une grenade ; notre guide lui flanque un coup de son lardoire sur le poignet et MOUSSET lui file une rafale, tandis que je cours à la recherche d’autres fells dans les rochers où ils attendaient les paras (là, j’ai fait mon signe de croix) Mais… Silence… Plus personne…

En connaissance des lieux, ils ont déguerpi dans le contrebas garni de sapins et de chênes verts. Bien que scrutant le versant, je n’ai aperçu aucune âme qui vive. Sur un rocher plat comme une table leur ayant servi d’appui pour tirer, se trouvaient diverses douilles de munitions de chasse et de Statti, ainsi que des cartouches mal percutées  (j’en détiens actuellement encore quelques- unes).

Cinq à dix minutes après notre arrivée dans le col, le reste de la section nous rejoint. Ensemble, on va s’occuper des soldats morts ou blessés. Le lieutenant m’intime l’ordre de rester où je suis parmi les rochers. Par radio, l’aviation de BATNA est alertée, un fumigène est allumé au milieu du col. Un avion de reconnaissance « PIPER3 SURVOLE LA ZONE …» Puis c’est la ronde des hélicoptères qui prennent en charge les morts et les blessés dont je ne connais pas le nombre exact.

Ce n’est que vers 16 h que nous sommes redescendus vers TAMZA. Chemin faisant, nous avons récupéré des vaches (4 ou 5) que nous avons ramenées au poste. Des femmes ont été regroupées puis interrogées, mais il n’y a pas eu de représailles : que quelques mechtas incendiées. En regagnant le poste, j’avais très soif et j’ai bu de l’eau de l’oued Tamza.

Notre lieutenant a peut être conservé le couteau qu’il a trouvé lors de notre retour à Aïn Guiguel en souvenir de ce jour mémorable. Lui seul pourrait apporter des précisions sur cette journée du dimanche 10 juin 1956 qui reste gravée dans la mémoire de tous ceux qui se trouvaient sur les lieux.

Ce fut une triste journée pour ceux qui sont tombés là et dont nous n’avons jamais sur ni les noms ni le nombre, ni la suite donnée à ces jeunes gens dont la plupart devaient partir le lendemain rejoindre leurs familles.

Mais quelle imprudence que d’avoir abordé par les hauteurs ce col dénudé ! En débouchant à cet endroit, nos paras ont été pris pour cibles par les fells qui se trouvaient dissimulés derrière les rochers du contrebas !

Selon les renseignements recueillis auprès de mon camarade Michel JAMBEL du 1er RCP et qui servait à la 4ème compagnie en poste à Bou Hamama 7 d’entre eux (et autant de blessés) y auraient trouvé la mort dont l’aspirant et son radio.

Que ces quelques lignes réveillent la mémoire de ceux du 94ème RI et de ceux du 1er RCP qui ont assisté à cette expédition prise au piège.

(Article paru dans L’Ancien Combattant N° 843 de mars 2007. Avons contacté Roger Lartillot pour accord le 30/11/2015.)

 

Date de dernière mise à jour : 26/05/2022

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